A L'AUBE DANS PARIS
Johanna Vic-Heldith
Elle aimait le petit jour, celui qui convie tout doucement à la vie. Lui ne connaissait que les fins de journée, celles qui glissent doucement vers l’oubli de la nuit.
Léo
Ce jour-là, Léo s’était réveillé à l’aube, sans savoir pourquoi. Aucun bruit n’était pourtant venu le troubler. Aucun cauchemar ne l’avait ligoté au centre de sa toile d’angoisse. Le jour, à peine ébauché derrière les remparts des volets clos, ne pénétrait pas encore la chambre qui baignait dans une obscurité douillette.
Il se sentait parfaitement éveillé, lui qui d’ordinaire mettait pour s’arracher des limbes du sommeil un temps infini.
Il avait l’impression d’avoir dormi plusieurs jours d’affilée alors qu’un rapide coup d’œil jeté au réveil posé sur la table de chevet lui apprit que son repos n’avait duré que trois heures. Il s’était couché tard la veille, comme souvent à cette époque-là où il gagnait quelques sous en travaillant comme barman dans une boîte de nuit, et il pensait dormir jusqu’à midi sonné.
Il tenta bien de se pelotonner sous les couvertures, la tête profondément enfoncée dans l’oreiller moelleux, mais le sommeil semblait décidé à le fuir avec obstination. Des idées nettes et précises affluaient sans cesse, le maintenant malgré lui dans une lucidité parfaite qui l’empêchait de glisser dans l’inconscience cotonneuse de l’endormissement.
Il s’obligea quelques instants à garder les yeux fermés, mais toutes les positions lui paraissaient inconfortables et, après en avoir vainement essayé plusieurs, il s’avoua vaincu. Il se leva, sans savoir comment il allait occuper le temps qui s’étendait à perte de vue devant lui. Il n’avait alors aucune habitude de ces heures fragiles du petit matin, pas encore dévolues au jour mais déjà détachées de la nuit.
C’était pour lui un espace étranger, un territoire inconnu qu’il abordait avec la précaution inquiète du découvreur d’îles lointaines.
Prudemment, un peu désorienté par cette expérience inattendue, il alla ouvrir les volets.
Karen
Karen devait prendre le train à cinq heures cinquante-cinq.
Elle avait un rendez-vous de travail important à neuf heures à Lyon.
Elle aurait préféré partir la veille et dormir sur place à l’hôtel, pour être sûre de ne pas arriver en retard mais sa sœur, retenue tard le soir par une réunion, avait eu besoin d’elle pour garder son bébé.
Prête bien avant l’heure, elle décida d’aller à la gare à pied.
Elle avait toujours aimé marcher dans les rues de Paris. Encore plus lorsqu’elles sont presque désertes. Pour l’impression grisante d’avoir la ville à soi.
Paris est une capitale à taille humaine, qui ne fait pas la fière quoi qu’on en dise, malgré le prestige de sa réputation. Et il lui semblait dans ces moments-là qu’une sorte de connivence discrète s’établissait entre elle et la vieille cité.
C’était pour elle seule que miroitaient les toits de zinc, pour elle que les moineaux ébouriffaient leurs plumes sur les trottoirs assoupis, pour elle encore que le jour se levait sur la langueur grise de la Seine.
La ville mettait à ses pieds son intimité troublante, la face cachée de sa grandeur. Bientôt, déferlerait la foule dans les avenues bondées. Le bruit, la couleur, l’agitation gigantesque de la foule, et Paris se recomposerait son visage de carte postale, figé sous le fard somptueux de ses édifices.
Elle avait le temps.
La journée s’annonçait belle. Elle le devinait à la pâleur rose du ciel à l’est, tout imprégné d’une transparence de soie fine, tranchant avec l’opacité sombre qui pesait partout encore sur les toits enténébrés.
Longtemps elle se souviendrait de la fraîcheur de l’air, aiguë comme les chants d’oiseaux qui perçaient le feuillage des platanes de la rue. Elle se souviendrait aussi qu’elle marchait d’un bon pas et que le claquement sec de ses talons sur le trottoir l’entraînait dans son rythme cadencé.
Elle aurait pu dire qu’elle était heureuse, ce matin-là, comme ça, sans raison particulière, juste parce qu’elle sentait qu’il allait faire beau, que les oiseaux chantaient et qu’elle dansait, dans la pureté du matin, avec Paris qui s’éveillait à peine.
Léo
Après avoir bu un café, debout, bol fumant en main, le front contre la fenêtre de la cuisine, Léo décida de sortir faire un tour. Sans but précis.
Juste parce qu’il lui paraissait complètement impossible de rester chez lui, sans dormir, à une heure pareille. Il était entré par hasard dans une zone du temps qu’il n’avait encore jamais abordée de sa vie : le petit matin.
Que font donc les gens qui se lèvent tôt ?
Il l’ignorait complètement. L’essentiel de sa vie se déroulait entre midi et deux heures du matin. Le reste était inconnu ou relégué aux vagues souvenirs de l’enfance. Il décida donc de prendre cette expérience sous l’angle quasi scientifique de la découverte et il partit à la rencontre de l’aube.
Il avait l’impression que l’ordre immuable des choses s’était renversé soudain, sans explication, et il déambulait, curieux et désorienté, dans les rues vidées de leur habituelle effervescence.
C’était comme s’il assistait, presque en voyeur, à un rituel secret de la ville, ignoré de la plupart des humains. Petit à petit, la douceur étrange de l’atmosphère s’infusait en lui, distillant dans ses veines le calme minéral des façades, l’haleine verte des arbres, la sérénité opaque du ciel jeté par-dessus la ville comme un drap. Il lui venait une fébrilité nouvelle qu’il ne définissait pas. Une sorte d’ardeur tranquille qui dégageait son souffle, déliait ses membres, aiguisait son regard.
Le soleil se levait, fleur géante à peine éclose au centre d’une coulée d’or, et les toits à l’est vibraient d’une ferveur d’incendie.
Il avisa alors que la petite rue étroite dont il suivait depuis un moment le fin trottoir s’encombrait tout à coup, à une centaine de mètres devant lui, d’un camion de livraison bloquant la chaussée sur toute sa largeur. Des hommes en combinaison orange allaient et venaient en un ballet rapide et efficace, déchargeant de lourds paquets qu’ils enfournaient vivement dans la gueule béante d’un immeuble, monstre vorace qui semblait les avaler l’un après l’autre.
Leur présence lui apparut comme un sacrilège.
Nul n’avait le droit de venir troubler son tête-à-tête avec l’aurore. Cette aube-là lui appartenait ou bien l’inverse, il ne savait pas. Mais il avait la sensation très nette d’être directement concerné par la solitude ensommeillée des rues et la lumière blonde et rose qui se répandait en flot chatoyant sur la ville.
Sur sa gauche, il y avait une ruelle, grise et minuscule, qui s’enfonçait entre les façades encore dévorées de ténèbres. L’aspect mystérieux du passage l’attira et il s’y engouffra en levant les yeux vers la clarté fragile du ciel contenue tout en haut, comme un rectangle de lumière au-dessus des murs gris.
La ruelle débouchait sur une rue plus vaste où le jour semblait s’être davantage répandu. Un homme ouvrait les rideaux et la porte d’un petit bar-tabac qu’une femme ronde, serrée dans un tablier blanc, balayait.
Il entra et commanda un café qu’il but debout au comptoir, lentement, en écoutant la salle s’emplir petit à petit. Les gens du quartier venus chercher le journal, les ouvriers d’un chantier proche, la ville s’animait doucement et il assistait à ce spectacle avec l’émerveillement que suscitent les découvertes.
Il sortit pour poursuivre sa balade matinale et se retrouva bientôt devant une rue en travaux, barrée par de larges panneaux jaunes et des tas de gravats.
Il avait le choix entre rejoindre sur sa droite une large avenue ou prendre sur sa gauche une nouvelle petite rue discrète ouvrant sur un square où des tilleuls s’ébrouaient dans un chuchotement de feuilles et un babil d’oiseaux.
Cette enclave de verdure coincée entre les hautes façades embrasées lui apparut comme une évidence.
Il passa la grille de fer forgé et entra dans le parc.
Michel Villegas
Karen
Karen regarda sa montre et vit qu’elle n’avait plus beaucoup de temps.
Ce n’était pas grave, elle n’avait pas envie d’arriver trop tôt. Elle n’aimait pas les gares. Anonymes, froides, désespérément fonctionnelles.
Elle ne savait jamais trop quelle contenance prendre en attendant seule sur un quai. Ignorer les autres, leur sourire ? Le spectacle de ces vies en transit dont elle ne savait rien et sur lesquelles, pour passer le temps, elle échafaudait des histoires, l’angoissait. Elles lui apparaissaient comme un condensé tragique de l’existence : là, puis disparues soudain, sans que l’on sache d’où elles venaient ni où elles allaient, évanouies à peine entrevues dans un ailleurs inconnu dont on ne saura jamais rien.
Elle accéléra tout de même le pas, levant les yeux vers le ciel dans toute la gloire de sa floraison. Des odeurs de café s’échappaient parfois d’une fenêtre entrouverte, avec les bruits familiers d’un intérieur qui s’éveille. Elle savourait l’infime plaisir d’être en avance sur tous ces gens, d’avoir bénéficié d’un petit peu plus de conscience qu’eux, elle, la matinale, l’amie de l’aube nouvelle, la danseuse du petit jour.
Si elle avait pu, elle aurait poursuivi sa marche jusqu’aux quais de la Seine, pour le spectacle flamboyant des mille éclats du ciel posés sur l’eau grise, pour le reflet des ponts s’enfonçant à la verticale, à peine tremblant d’un léger clapotis.
Elle aurait parcouru les rues de Paris, jusqu’à l’ivresse, jusqu’à l’extase, jusqu’à l’éblouissement.
Elle regrettait de ne plus avoir le temps pour ces flâneries de hasard, au gré des saisons et des humeurs de la ville.
Le temps. Le véritable luxe de cette époque basée sur la vitesse.
Elle se dit que si elle continuait son chemin tout droit, elle risquait d’être en retard, même en marchant d’un bon pas.
C’est pourquoi elle décida de couper par le petit square.
Son allée centrale bien dégagée, bordée de pelouses scintillantes de rosée lui ferait gagner quelques minutes précieuses.
Et puis, elle aimait les jardins publics depuis toujours. Leur verte torpeur, toute chargée d’ombre aux temps chauds, ou l’élégance graphique de leurs jours d’hiver, leurs frissonnements de plumes, les eaux couleur de bronze de leurs bassins de pierre, leurs bancs striant la lumière de longues raies sombres, tout en eux la berçait d’une délicate mélancolie assortie à leur tranquillité légèrement désuète.
Jardins de ville aux massifs sages somnolant sous la pluie rose des marronniers ou dans le parfum ténu des tilleuls, parcs citadins aux gazons épais comme des tapis précieux, elle aimait inscrire sur le gravier de leurs allées sereines la trace éphémère de ses errances.
Elle entra dans le square par un petit portillon discret, connu des seuls riverains et des flâneurs amoureux de découvertes infimes, allant au hasard dans les petites rues de Paris. Les autres, les non initiés, passaient la grande grille noire de l’entrée principale, à l’autre bout du parc.
Le portillon grinça, effarouchant une volée de moineaux qui s’enfuirent dans un froufroutement ailé qu’elle suivit des yeux en souriant.
Léo
Léo marchait dans le parc comme au premier matin du monde. Il respirait l’odeur verte de l’herbe qui s’éveille, toute luisante de rosée, le parfum précieux des roses froissées de sommeil, l’ombre lourde des grands arbres, encore tissée d’un reste de nuit. Il se gorgeait de toute cette douceur nouvelle, palpitant dans la lumière de plus en plus dorée. Tout cela s’infusait en lui et distillait dans ses veines un charme puissant, un envoûtement étrange, qui le tonifiait et l’alanguissait à la fois, le rendant perméable soudain à la beauté sereine de tout ce qui l’entourait. Ce simple jardin public lui apparaissait comme un Eden miraculeusement retrouvé, intact, préservé de la vaine agitation des hommes, un havre de paix où il ferait bon vivre dans une aurore éternelle, baignée de printemps.
La grande allée centrale lui parut trop large, avec sa haute statue de bronze et ses bancs sagement alignés. Il lui préféra un petit chemin de gravier, serpentant entre les massifs fleuris et dont les courbes lentes échappaient à la vue, entretenant le mystère.
Karen et Léo
Karen avançait d’un pas rapide, tout en buvant la fraîcheur de l’air comme une boisson aphrodisiaque. Bientôt, elle rejoindrait la grande allée qui la mènerait tout droit à la grille du parc débouchant sur la petite rue à côté de l’avenue, à deux pas de la gare.
Les graviers blancs crissaient sous ses pas, les massifs de rhododendrons en fleurs posaient la lumière pâle de leur floraison sur l’ombre dense de leur feuillage vernissé. Tout n’était qu’harmonie, là, dans le jour tout neuf qui coulait à travers les branches des cèdres, s’insinuait parmi les rosiers, se répandait en vague blonde sur les pelouses. Et cette harmonie lui donnait des ailes, libérait son souffle et son pas ; elle se sentait intimement liée à ce jardin qui s’ébrouait sous la caresse du soleil.
Ce fut alors qu’un gros chien clair se jeta dans ses jambes, vif et joyeux, traînant derrière lui une laisse de cuir rouge. Il avait de toute évidence échappé à la vigilance de son maître et, s’enivrant lui aussi de senteurs printanières, gambadait librement, jeune et fou, autour d’elle.
Elle coinça prestement la laisse sous son pied.
Un homme arrivait face à elle, haute silhouette se détachant sur le vert tendre des bosquets.
Elle pourrait aujourd’hui encore décrire avec une précision extraordinaire sa démarche fluide toute nimbée de la clarté du jour.
Elle sut à cet instant précis, d’une façon totalement irrationnelle mais certaine, que c’était à sa rencontre que cet homme marchait.
Karen était à une vingtaine de mètres de Léo, à demi penchée sur le labrador sable qu’elle tentait de retenir tandis qu’il folâtrait autour d’elle, la queue battante, le nez au vent.
Les mèches rousses échappées du béret de la jeune femme jetaient des éclats de cuivre en fusion. Elle semblait aussi claire que le matin qui la baignait de son haleine poudrée et aussi fragile, comme une créature secrète de l’aube enfantée par le jardin lui-même.
Et plus rien alors n’eut d’importance pour Léo, que cette fille pâle aux cheveux de soleil naissant, tournoyant dans l’allée déserte avec son grand chien clair.
Elle était le cadeau que l’aurore lui offrait et tout prenait sens soudain pour lui, dans ce jardin paradisiaque. Son réveil intempestif, son errance au hasard des rues, les déviations que le destin avait semées une à une sur sa route…
Tout le menait ici, à cette inconnue qui riait dans la lumière.
Elle l’aperçut alors et lui demanda d’une voix douce en désignant l’animal qu’elle contenait avec peine :
– Il est à vous ?
Oh, ses yeux verts, étangs sauvages bordés de longs roseaux où s’endorment les cygnes ! Et les dunes de ses joues aux harmonies de lune, et le soyeux de ses lèvres, azalées pourpres écloses au premier matin dans le premier jardin du monde !
Avant que Léo ait eu le temps de répondre, des appels retentirent au loin, entrecoupés de sifflements aigus :
– Hermès ! Hermès !
Et le chien tourna la tête vers la voix, en gémissant doucement.
Karen s’agenouilla près de lui, saisissant son collier pour le maintenir fermement tandis qu’il fourrait sa truffe humide et glacée dans le creux de son cou.
Elle murmura tout en le caressant :
– Hermès, le messager des dieux…
Léo, arrivé à la hauteur de Karen, dit :
– Hermès, le messager des dieux…
Et elle sourit.
Ce fut comme si toute la lumière du jour nouveau se mettait à ruisseler soudain sur lui, l’inondant d’énergie.
A son tour, il bloqua le chien fermement par le collier et elle lui abandonna la laisse.
Tous deux caressaient la douce fourrure blonde et leurs mains se frôlaient, reculaient imperceptiblement, n’osant encore le contact, se rapprochaient aussitôt, comme aimantées.
Leurs regards se mêlaient, le vert s’enlaçant au brun dans une étreinte de feuillage et d’écorce toute piquetée de soleil.
Ils ne parlaient pas, les mots étaient inutiles.
Ils étaient dans le silence, dans le halètement chaud de l’animal, dans le remue-ménage doux des oiseaux, dans le frissonnement des feuilles.
Dans la féérie de leur rencontre.
Ils seraient restés ainsi une éternité. Mais un homme arrivait en courant du bout de l’allée. Le chien lui fit la fête, heureux comme seuls savent l’être les chiens pour de simples retrouvailles, pour une caresse, pour un rien.
L’homme remercia Karen et Léo, et cette gratitude qui les enveloppait pour la première fois dans une considération commune les troubla profondément.
Karen dit simplement :
– Il faut que j’y aille. J’ai un train à prendre dans quelques minutes…
Léo prit un billet pour le train de Lyon de cinq heures cinquante-cinq.
Parce que c’était une évidence.
Ils s’assirent côte à côte et se parlèrent de leur vie, de leurs espoirs, de leurs rêves, de tout et de rien. Et rien n’était plus précieux que ces mots échangés dans l’intimité de leurs souffles.
Leurs mains s’étaient trouvées et ne se lâchaient plus.
Le monde visible s’arrêtait pour chacun au visage de l’autre. Au-delà était le flou, l’informe, l’innommé.
Leurs pas, depuis leur lever, un à un, les avaient guidés l’un vers l’autre et ils restaient saisis de ce miracle, de cet étrange arrangement de leur destin.
Inexorablement, le puzzle de leurs vies s’était assemblé, au fil des rues, au détour des allées, dans le matin naissant.
Ils construisaient déjà la mythologie de leur rencontre, avec sa part de fabuleux, sa part d’envoûtement. Ils devenaient les héros de la légende d’amour qu’ils écrivaient à mesure, éblouis et fervents.
Karen avait posé sa tête sur l’épaule de Léo, et il respirait ses boucles rousses dans lesquelles il lui semblait retrouver l’odeur verte et sucrée du jardin. Femme-fleur, femme-lumière, il la gardait serrée contre lui, comme un rêve, comme un cadeau.
Il murmurait qu’il vouerait désormais un culte à l’aurore, cet espace parallèle où tout est à la fois semblable et si différent. Elle riait de son enthousiasme, de sa passion et se blottissait, caressante, en avouant qu’elle avait toujours su, tout au fond d’elle-même que c’était un moment bien plus propice aux sortilèges que la profondeur des plus sombres nuits.
Ils frémissaient déjà de la volupté des matins à venir, ils sentaient dans leurs veines le flux brûlant des félicités futures, bâtissaient en paroles un avenir baigné de lumière d’or.
Tout se passait comme si le train dans lequel ils abritaient leur amour naissant n’avait pas de destination précise. Comme s’ils partaient à l’aventure, à la découverte, avec pour boussole, leurs mains liées et leur cœur à l’unisson.
Le poids des choses réelles s’était évaporé et ils demeuraient légers et libres, comme en apesanteur. Qu’importaient le pourquoi et le comment des événements ! Seul comptait l’émerveillement d’être ensemble, de s’être trouvés au cœur de la ville, malgré l’immensité, malgré la multitude.
Ils se sentaient emportés dans le tourbillon d’un voyage enivrant et ils se laissaient aller, confiants et rassurés, puisque leur rencontre était écrite dans les arcanes de l’aurore.
Le jour étalait sur la ville la splendeur de sa jeunesse.
Le soleil, haut déjà, large et rond comme l’œil d’un aigle, dominait les toits, les jardins et la ligne fuyante des rails, dardant ses rayons sur le tracé mystérieux des routes, des chemins de hasard, nés du ventre de l’aube.