LA NUIT DU GRAND FEU
Louise Tellier
Plus personne au village n’avait entendu parler de Ginette depuis des années, et c’était très bien comme ça. Depuis le drame, tous avaient préféré l’oublier, elle qui avait fait tourner tant de têtes !
C’était un été de grande tourmente, avec dans le ciel toute la fumée de la forêt qui n’en finissait pas de brûler. Ces arbres-là, nous les avions vus grandir, se frotter les uns contre les autres en éparpillant leurs aiguilles sèches. Nous avions reniflé l’odeur acidulée de la sève et les gosses, ceux que nous étions autrefois, avaient ramassé les belles pignes riches de pignons croquant sous la dent. Mais la pinède, ce triste été 1954, s’en allait en cendres et flammèches dans le vent fou qui tournait les têtes et chavirait les cœurs.
Le cœur de Simone, depuis longtemps, ne battait plus que pour les choses ordinaires de la vie, comme le petit gâteau du dimanche soigneusement choisi dans la vitrine du boulanger pâtissier. Un sourire se dessinait alors sur ses lèvres minces. Ses lèvres, pourtant, n’avaient guère connu la caresse d’une bouche aimante. Mais de cela, elle ne parlait guère ou juste certains après-midi quand une amie d’autrefois, maintenant grand-mère et souvent arrière-grand-mère, poussait la porte de la maisonnette et acceptait un doigt de porto.
Simone se laissait volontiers aller dans le dédale des souvenirs embrouillés, des amours à demi effacées où sa sœur, la belle Ginette, avait toujours eu plus de chance qu’elle. Elle racontait en tripotant son verre qu’elle hésitait à vider les années de leur jeunesse, juste après la guerre.
– Tu te souviens..., aimait-elle à dire.
Et l’autre, avec dans la bouche toute la douceur du porto, hochait doucement la tête.
– Bien sûr, ce genre de choses ne s’oublie pas.
La plupart du temps, elles ne pensaient pas aux mêmes événements, mais pour Simone cela n’avait plus d’importance. Elle murmurait de sa voix douce-amère, que le drame était survenu par la faute de Ginette et l’autre, un peu gênée, n’osait pas la contredire, mais priait le Seigneur pour que la cadette jamais ne revienne.
Elle revint, pourtant, ce fameux été, par une brûlante journée où le soleil chauffait à blanc l’étroite route sur laquelle, depuis le matin, défilaient les camions des pompiers. Elle revint par le bus de midi.
Le premier qui la vit descendre fut le vieux Cyprien. Il en resta la bouche ouverte, les yeux tout ronds, oubliant de lancer la boule qui lui éviterait d’être fanny. Elle glissa toute bête de sa main et roula dans le sable sans que personne ne le traite de fada, parce que soudain, nous l’avions vue aussi. Elle ne nous salua pas. Elle marchait, la tête bien droite, et la valise qu’elle portait semblait légère.
Elle se dirigea vers l’auberge, prit le temps de consulter l’affichette annonçant le prix des chambres et en poussa finalement la porte.
Les patrons n’étaient pas de chez nous et à peine nés à l’époque où la beauté flamboyante de Ginette avait dérangé le calme du village.
Elle ne resta pas longtemps à l’intérieur, juste celui de se défaire de sa valise et elle réapparut avec, sur son visage toujours aussi lisse, cette expression de mépris à notre égard.
Le premier qui parla fut Cyprien :
– Après tout ce temps, il y a prescription.
Pour nous sans doute, mais pas pour Simone. Quand elle fut de nouveau à notre hauteur, avec ses cheveux qui avaient refusé de blanchir, elle nous toisa avec insolence, puis bifurqua vers la rue de son enfance, la maison de sa sœur et ce fut Octave, l’ancien boucher, qui décida d’interrompre la partie de pétanque.
– Faut pas rester là !
Ce jour-là, nous oubliâmes le grand incendie qui mangeait l’Esterel et la partie qui d’ordinaire nous poussait vers le bistrot pour fêter les victoires comme les défaites.
Ce jour-là, c’était elle qui occupait toute notre tête : la Ginette d’autrefois, celle que l’un d’entre nous avait aimée jusqu’à la déraison.
Michel Villegas
A seize ans, elle avait, pour toute richesse, des yeux couleur de bleuet et des cheveux d’un roux à vous faire frémir. Sa sœur et elle, depuis la mort de leurs parents assassinés par les Allemands, vivotaient en se louant pour la journée, pour une saison dans les mas. Si l’aînée se montrait dure à la tâche, tout était différent avec la cadette. Avec une arrogance naturelle, elle tenait tête aux dames bien nées qui exigeaient d’elle une docilité de domestique. Seuls les messieurs semblaient apprécier la compagnie de cette belle fille, toute en jambes et en courbes. Ils la regardaient avec tant d’intensité que les mauvaises langues prétendaient que le roux de ses cheveux finirait par leur brûler les prunelles.
Simone ne la jalousait pas. Elle disait, résignée : « Dieu l’a voulue jolie, mais il m’a donné la force et la sagesse. »
Quand les maris un peu trop entreprenants cherchaient à coincer la jeunette, l’aînée s’en mêlait. Pour la faire taire, ils se montraient volontiers généreux. Elle prenait l’argent, persuadée d’être dans son droit.
Ainsi, après cinq ou six ans à courir les mas, les deux sœurs réussirent à mettre assez de sous de côté pour s’acheter une petite maison, rue de la Fontaine. Une fois installée, Simone continua à se louer, tandis que Ginette, poussée par son aînée, apprit le métier de coiffeuse.
Chaque lundi, elle partait par le bus et ne nous revenait que le vendredi. Histoire de mettre ses nouveaux talents en pratique, le samedi et le dimanche, elle ouvrait la maison aux dames qui mouraient d’envie de se faire poser des bigoudis. Elle racontait la ville, celle de Toulon, avec ses grands boulevards et ses lumières qui brillaient toute la nuit. Elle donnait des envies aux plus jeunes qui jamais n’étaient allés plus loin que le village voisin pour le grand marché aux olives. Elle affirmait, sûre d’elle, que plus tard, elle ouvrirait son salon chez nous. Simone souriait d’un air ravi, elle y croyait aussi.
Seulement voilà, pour installer des casques chauffants, des bacs où laver les têtes, il fallait des sous et les sœurs n’en avaient plus, du moins pas assez pour leur rêve. Comme toujours, ce fut l’aînée qui eut une idée, la cadette se contentant d’espérer.
– Si tu trouves un mari, tout sera plus facile.
Le mari, ce n’était pas chose compliquée ! Par chez nous, il y avait toujours eu plus de garçons que de filles ; même la guerre n’avait pas réussi à enrayer cette épidémie qui faisait trop de célibataires. Ginette n’avait donc que l’embarras du choix.
Simone, à l’affût de la meilleure occasion, passa en revue tous les hommes libres de la contrée. A l’automne retombé sur nous comme l’aile rousse d’un oiseau son choix se porta sur Léon. Il avait trente-cinq ans et assez de terre pour se tourner les pouces. C’était nous qui travaillions pour lui. Et croyez-moi, c’était un bon patron.
Il se laissa convaincre par Simone. Elle mit tant d’ardeur et d’obstination que sa volonté à vouloir caser sa cadette bientôt se transforma en un sentiment auquel elle ne s’attendait pas. Ce ne fut pas Ginette habituée à être courtisée qui s’amouracha de notre Léon, mais Simone au visage ingrat et aux idées arrêtées.
Quand le gaillard fut enfin disposé à jouer les galants auprès de la jeune coiffeuse, l’aînée en perdit sa sagesse.
– Réflexion faite, il n’est pas pour toi !
Ginette, évidemment, s’en étonna.
– Mais pourquoi ? Tu disais qu’il était parfait et même gentil !
Justement, ce qu’il y avait en trop dans ses prévisions était la gentillesse de Léon. Maintenant elle le voulait pour elle.
– Il est trop vieux pour toi et pas assez joli garçon.
Pour ce qui était de l’âge, elle n’avait pas tout à fait tort, Léon accusait dix bonnes années de plus que Ginette, mais pour le reste, c’était faux.
A force d’avoir été sollicité, notre Léon commença à tourner autour de la maison des sœurs comme un chien qui aurait perdu son os, mais Simone ne l’ouvrait que lorsque la petite était à Toulon. Ils restaient tous les deux dans la cuisine à parler de tout, de rien et surtout d’eux. Quand le vendredi soir, le bus redéposait Ginette sur la place, Simone trouvait toujours une excuse pour que Léon ne vienne pas les voir. Ce petit jeu finit par titiller sa curiosité. C’est comme ça qu’un lundi tout en écharpes de brumes, il lui posa directement la question.
Il arriva comme d’habitude avec des petits-fours dans une boîte en carton et des fleurs cueillies dans son jardin. Elle sortit le porto, les verres et tout de suite il attaqua :
– Cela fait maintenant des semaines que tu me vantes les qualités de ta sœur, que tu me donnes l’envie de mieux la connaître, mais tu repousses toujours le moment où je pourrais lui dire que je suis d’accord et que je la trouve à mon goût.
Elle baissa la tête, les joues un peu rouges.
– Je sais bien et je m’en fais tous les jours le reproche, mais à force de bavarder avec toi, j’ai eu d’autres pensées.
Léon était gentil, mais pas très futé. Les seules filles qu’il avait connues, étaient celles qui se promenaient sur les trottoirs bordant la caserne de Dijon où il avait effectué son service militaire.
– De vilaines pensées ? s’inquiéta-t-il.
Elle finit par relever la tête et par oser le regarder bien droit dans les yeux.
– Pas du tout, seulement j’ai tellement pris l’habitude de nos soirées en tête-à-tête que je n’ai plus très envie que tu les passes avec Ginette.
Un autre à sa place, un de nous par exemple, aurait éclaté de rire, parce que Simone, même si elle n’avait que trois ou peut-être cinq ans de plus que Léon, était entrée dès ses vingt ans dans la catégorie des filles qui jamais ne se marieraient.
Léon se garda de rire, il accepta le regard pesant de la malheureuse qui commençait à transpirer à cause de l’émotion.
– Tu es sûre ? demanda-t-il.
Elle fit « oui » de la tête, avec dans toute sa poitrine les battements de son cœur qui résonnaient.
Il se leva. Elle eut peur qu’il ne prenne la fuite et ne revienne jamais. Elle se jeta vers lui, toute tremblante, avec sur sa peau tout cet amour qui la brûlait.
Il la repoussa avec douceur. Il n’avait jamais été méchant.
– Jamais elle ne t’aimera avec sincérité, ce qu’elle veut, ce sont tes sous pour ouvrir son salon.
– Je m’en doutais un peu, mais cela ne me dérange pas. Avoir une jolie femme que tout le monde regardera me flatte. C’est pour cela que je t’ai dit « oui ».
– Mais nous ?
Il secoua sa grosse tête que jamais aucune mauvaise pensée n’avait habitée.
– Je ne te veux pas, Simone. C’est ta sœur qui me plaît, et pour ce qui est des sous, ne t’inquiète pas, toi non plus tu n’en manqueras pas.
Ce fameux soir, elle perdit son sang-froid, mais aussi tous ses rêves. Elle se mit à frapper le large buste de Léon. Il la laissa faire. Il se disait : « elle finira par se calmer », mais au lieu de cela elle se mit à crier, à l’injurier et le pauvre garçon se dépêcha de prendre la fuite.
Le vendredi suivant, quand le bus s’arrêta sur la place battue par l’averse, il était là, avec un parapluie. Pour Ginette. Mais au lieu qu’elle descende comme d’habitude, ce fut lui qui monta et ils repartirent avec le vieil autocar.
Ce qu’ils se racontèrent ce soir-là dans le bus, nous ne le savons pas, la seule chose dont nous fûmes alors sûrs, c’est que la petite plus jamais ne revint au village.
Ce fut le journal qui nous apprit qu’elle avait décroché son diplôme et lui encore qui nous annonça l’ouverture de son salon, dans une autre bourgade, à deux collines de chez nous, sans oublier son mariage avec Léon pour lequel même Simone ne fut pas invitée.
Quand à force d’être abandonnées à elles-mêmes, les terres de Léon retournèrent en friche, un notaire habillé comme un croquemort nous annonça qu’elles étaient en vente. Cela nous fit tout bizarre et ceux qui avaient deux ou trois sous d’économie s’empressèrent de faire une offre. Le beau domaine fut partagé comme un gâteau de communion. Seule la maison resta fermée. Non pas que personne n’en voulait, mais le notaire fut formel :
– Il veut la garder.
Même Simone en acheta une parcelle, mais elle, depuis, avait drôlement changé. Elle semblait s’être ratatinée et dans ses yeux plus aucune lumière ne brillait. Sur son bout de garrigue, elle ne planta rien. Elle laissa la nature faire à sa guise et les amandiers retournèrent à l’état sauvage, tout mangés par les mauvaises herbes. Cela ne la tracassait pas. Elle y passait des heures, assise là, à ne rien faire, à regarder le ciel. Elle pensait toujours à Léon qui n’avait pas voulu d’elle.
Quinze longues années s’écoulèrent avec leurs cortèges d’enterrements, de mariages et de naissances. Puis un hiver, voilà qu’un gamin qui passait son temps à fouiner dans le jardin de la bâtisse de Léon déboula sur la place, tout essoufflé.
– Il est revenu.
Nous ne comprîmes pas tout de suite, voilà belle lurette que nous ne pensions plus à lui.
– Le Léon !
Il ne mentait pas. Il était de retour avec l’air d’un homme qui a pris trente ans en quinze ans. La nouvelle comme une traînée de poudre arriva chez Simone. Ses yeux qui plus jamais ne s’étaient allumés d’un coup se mirent à briller comme des étoiles toutes jeunes. Elle courut vers la bicoque, elle voulait le voir, comprendre, oublier et sans doute l’aimer encore.
Il lui ouvrit sa porte et les quelques mois que Simone passa là-bas furent sans doute les plus beaux de sa vie. Même que par ici, nous nous disions que tout enfin allait rentrer dans l’ordre et que notre Léon finirait bien par oublier sa Ginette grâce à toutes les attentions de Simone. Nous espérions même un mariage, même si monsieur le curé disait ne pas vouloir le bénir. Nous nous trompions.
Un an jour pour jour après son retour, un matin un grand cri de bête réveilla le village en sursaut. C’était celui de Simone. Léon s’était pendu, laissant au bas de la chaise sur laquelle il était monté une lettre pour expliquer son geste, son grand désespoir. Je ne vous la lirai pas, parce qu’elle contenait des choses bien intimes, mais en tout cas, la responsable, c’était Ginette.
Bien évidemment, les premiers mois, elle s’était laissé aimer par ce benêt prêt à tout lui donner. Son salon marchait bien, seulement il n’était pas fréquenté que par les femmes ; les hommes aussi y venaient. Ginette continuait à plaire, comme autrefois, à cette époque où Simone avait si bien su manœuvrer pour arracher quelques sous à des patrons indélicats qui auraient bien voulu trousser les jupons de la cadette.
Les temps avaient changé, Simone n’était plus là pour veiller au grain et Ginette tout émoustillée se laissait courtiser et donnait souvent plus qu’il ne l’aurait fallu. Le pauvre Léon ne disait rien ou juste :
– Je savais bien que de prendre une femme aussi belle que toi finirait par me jouer des tours.
Elle riait et se moquait de lui. Jamais elle ne lui avait menti ou prétendu l’aimer, elle avait juste dit dans l’autocar le soir de leur fuite :
– Je veux bien être à toi, mais n’espère pas un véritable amour.
Il n’espérait plus, il souffrait. Il avait souffert durant toutes ces années passées loin de chez nous, mais ce qui le brisa ce ne fut pas tous les amants de Ginette, mais quand celle-là, le cœur enfin remué, décida de n’en avoir plus qu’un seul, un vrai, pour qui elle se serait fait couper en petits morceaux…
Et elle quitta Léon.
Dans cette lettre abandonnée au pied de la chaise, il y avait aussi quelques mots à l’intention de Simone. Avant de glisser la corde autour de son cou, Léon avait pensé à celle qui, durant ces quelques mois, avait vainement tenté de le réconforter.
Il avait écrit : « Ne laisse pas Ginette vendre cette maison. Je veux qu’elle soit à toi. »
Quand son cri mourut dans sa gorge, elle ferma les yeux, se signa et jura.
Elle n’assista pas à l’enterrement. Elle n’en avait pas la force. Elle retourna chez elle avec son chagrin comme un trou dans sa poitrine. Plus personne n’osa lui parler de Léon jusqu’au jour où Ginette nous expédia un petit bonhomme maigrichon pour expertiser la maison.
Simone sortit de sa torpeur.
– Jamais vous ne la toucherez.
Comme l’agent immobilier ne voulait rien entendre, elle ramassa des pierres et commença à le bombarder. Il repartit aussi vite qu’il était venu. Ici, on se disait bien que Ginette n’en resterait pas là, mais jamais nous n’aurions cru la voir revenir.
Ce fut pourtant ce qui arriva l’été des grands incendies.
Elle cogna pleine de colère à la porte de Simone.
– Ouvre, cette maison est autant à moi qu’à toi.
Derrière la fenêtre, nous apercevions le petit visage aigu de Simone aux yeux écarquillés d’effroi. Finalement, elle se résigna et apparut, serrée dans sa blouse grise. Ginette la toisa :
– Grand dieu que tu as vieilli… cela fait donc combien d’années ?
– Seize ans, répondit Simone d’une voix qui se brisa.
Ginette sourit.
– Enfin, bon, si je suis ici, tu t’en doutes, ce n’est pas pour évoquer le passé, mais pour la bâtisse de mon défunt mari… J’ai des soucis, Simone, et je suis venue pour la mettre en vente. Il semblerait que tu aies très mal reçu mon agent immobilier….
– Tu ne peux pas, répondit doucement Simone.
– Je suis sa veuve, s’énerva Ginette et le peu qu’il possédait encore est à moi, légalement.
– Pas la maison… Il ne voulait pas. Il l’a écrit.
Elle se rua sur son aînée, prête à la secouer, mais Simone n’avait rien perdu de sa force d’autrefois et maintint sa sœur à bonne distance.
– Ne m’oblige pas à te gifler comme lorsque tu avais dix ans… Laisse cette maison tranquille. Tu lui as déjà tout pris, même la vie, alors retourne d’où tu viens.
– J’ai besoin de cet argent, supplia soudain Ginette qui oublia sa colère pour redevenir la gamine que toujours Simone avait protégée, mais cette fois cela ne marcha pas.
Entre les deux femmes, il y avait quelque chose de plus grave, de plus profond que jamais Simone ne pourrait oublier : Léon.
– Si réellement tu la veux, achète-la donc et plus jamais tu n’entendras parler de moi.
Simone secoua la tête. Des mèches grises s’échappaient de son chignon.
– Je n’ai pas d’argent et tu le sais.
Ginette la dévisagea :
– Je vendrai que cela te plaise ou non.
La maison, pourtant, n’a pas été vendue, parce que cet été-là, le grand feu de l’Esterel a fait un détour par chez nous et justement s’en est pris à la maison de Léon, du moins c’est ainsi que les enquêteurs l’ont raconté et comme Ginette n’avait pas d’assurance, elle a dû se résigner. Jamais d’ailleurs, elle n’est revenue.
Mais nous, nous savons bien que le feu, il est resté dans les pinèdes, il s’en moquait bien de la bicoque de Léon.
Certains petits malins, cette nuit du grand feu, alors qu’ils braconnaient dans la garrigue en se moquant des flammèches qui venaient leur lécher le visage, ont vu une femme toute serrée dans son fichu, traînant un bidon bien trop lourd pour elle. Elle se dirigeait vers la maison du pauvre Léon. Elle n’y resta pas longtemps et juste après, de la fumée sortit par les fenêtres, par la porte. De grande belles flammes toute droites s’en prirent à la charpente. Quand les pompiers bien trop occupés par le grand brasier qui mangeait les pins se rendirent sur les lieux, leurs lances à incendie ne servirent plus à grand-chose.
Pourtant, jamais nous n’avons trahi Simone. Nous avions compris et pardonné son geste.
Alors aujourd’hui, comme si rien de grave ne s’était passé, nous continuons à lui sourire quand nous la croisons le dimanche du côté de la pâtisserie où elle va chercher son petit gâteau, mais depuis ce fameux été, elle ne le mange plus chez elle, mais là-bas, assise sur les ruines noircies. Chez Léon….